
Shuhei FUJISAWA
Avant-propos
J’entreprends une entreprise laborieuse: écrire un essai en français une fois par mois. Professeur de lettres françaises au XXe siècle, j’ai beaucoup lu d’ouvrages de cette période, notamment les œuvres de Marcel Proust et de nombreuses études sur ce grand écrivain; j’ai aussi écrit plusieurs articles d’étude littéraire inspirés par ces lectures. A travers mes travaux, je découvre progressivement le plaisir d’écrire en français.
J’ai récemment lu un petit livre très intéressant pour moi: Jhumpa Lahiri En d’autres mots. Lahiri est une écrivain américaine très connue d’origine Bengalie; en d’autres mots, ça veut dire ¨en Italie¨: c’est le premier livre qu’elle a écrit en italien, dans lequel elle raconte son itinéraire vers la langue italienne qu’elle n’a commencé à apprendre qu’à l’âge mûr. Lahiri rapporte toujours son étude passionnée de l’italien avec les mots de l’amour, un amour pas toujours heureux, parfois pénible: «Je suis tombée amoureuse, mais ce que j’aime est indifférent. La langue n’aura jamais besoin de moi.» (En d’autres mots. traduit de l’italien par Jérôme Orsoni, ACTES SUD, 2015.) Pour moi, l’attachement au français remonte à mon adolescence tardive, je me pénètre donc d’une sorte de dévouement à l’autre langue. Cette lecture me permet de redécouvrir la souffrance et la joie d’apprendre les langues étrangères, et le plaisir d’écrire en d’autres mots, c’est-à-dire, en français.
Or selon Michel Tournier, alors que l’on sent la joie par la création, le plaisir se sent par la destruction, la consommation (Le miroir des idées, ¨ Le Plaisir et la joie ¨ Mercure de France, 1994.). D’après moi, la joie connote un certain type d’émotion forte et sacrée, plus facile à partager avec d’autres dans une communauté; le plaisir est subjectif et personnel. Alors, est-ce que je vais vous imposer mon plaisir par mon écriture en français? Mais non; même par tâtonnement je veux essayer de rendre mon plaisir plus général, au mieux universel: c’est mon autre expérience en écrivant le français.
A partir de la prochaine fois, je vous raconterai mes petites expériences en France et en langue française; par l’écriture dans une langue étrangère, peut-on les transformer en quelques événements universels? Ou plutôt, par la force d’écrire peut-on retrouver dans son expérience banale quelque chose qui touche les autres ? C’est cela, mon autre tentative. Marcel Proust dit dans une exposition de sa propre esthétique: «Là où la vie emmure, l’intelligence perce une issue.» (Le Temps Retrouvé) Presque à la fin de son grand roman, le héros est enfin arrivé à apprendre les méthodes et la théorie pour exprimer ses propres expériences amoureuses très pénibles. J’espère percer une issue dans ma vie pour partager quelque chose de commun avec vous, les francophones.